Bangladesh: après avoir perdu la vue dans les manifestations, des étudiants espèrent un avenir radieux
Omar Faruq, un étudiant bangladais, veut croire en un avenir radieux pour son pays même si son univers n'est désormais plus qu'obscurité, après avoir perdu la vue lors des récentes manifestations violemment réprimées.
Plus de 450 personnes sont mortes, pour beaucoup victimes des tirs des forces de l'ordre lors des rassemblements antigouvernementaux qui ont secoué le pays dans les semaines précédant le 5 août, jour de la fuite en hélicoptère vers l'Inde de la Première ministre Sheikh Hasina.
Des dizaines de manifestants sont devenus non-voyants ou malvoyants après avoir été frappés par des balles en caoutchouc ou de la grenaille de plomb tirées par la police avec des fusils de chasse.
Les forces de sécurité bangladaises sont accusées d'avoir fait usage d'une force excessive pour réprimer les manifestations.
"J'ai été bombardé de plombs partout... sur le nez, les yeux, partout... à bout portant", raconte Faruq, 20 ans.
Il avait parcouru en stop les 200 kilomètres qui séparent la ville de Bogura, dans le nord du pays, de la capitale Dacca pour participer aux manifestations.
Il est actuellement soigné au sein de l'Institut national d'ophtalmologie et hôpital (NIOH), le plus grand centre ophtalmologique spécialisé du pays.
Selon les registres de l'établissement, près de 600 personnes ont perdu au moins une partie de leur vision après avoir été atteintes par des plombs tirés pendant les troubles sociaux qui ont conduit à la fin du régime autoritaire de Mme Hasina.
Parmi ces patients, 20 ont perdu l'usage de leurs deux yeux.
- Usage d'une "force disproportionnée" -
Des centaines d'autres personnes blessées au niveau des yeux sont soignées dans de petits hôpitaux de Dacca, selon les médias locaux.
"Nous faisions jusqu'à dix interventions chirurgicales à la fois", affirme Mohammad Abdul Qadir, directeur par intérim du NIOH, "nous n'avions jamais connu ça".
Les groupes de défense des droits de l'homme déconseillent l'usage par les forces de l'ordre de grenaille de plomb contre des manifestants non armés, estimant que ce type de munitions frappe de manière non ciblée.
L'organisation américaine Physicians for Human Rights (Médecins pour les droits humains) a qualifié leur usage d'"intrinsèquement imprécis" et de potentiellement "mortel pour les humains (si tirée) à courte distance".
La semaine dernière, les Nations unies ont affirmé avoir de "fortes présomptions" d'un recours à une "force inutile et disproportionnée" de la part des forces de l'ordre bangladaises. Une équipe devrait se rendre à Dacca pour enquêter.
Les personnes soignées à l'hôpital NIOH, où chaque salle est pleine de manifestants devenus malvoyants, témoignent de la violence déployée.
Mohammad Abdul Alim, 34 ans, se tord de douleur dans son lit d'hôpital, plusieurs balles encore logées dans son corps. Son œil gauche est gonflé et injecté de sang.
"Parfois, j'aimerais pouvoir me couper le côté gauche du visage", se lamente M. Alim, visiblement toujours angoissé.
"Lorsque je mange, je ne vois pas bien la quantité de riz dans mon assiette."
Une radio du crâne d'Abdul Alim, vue par l'AFP, montre des dizaines de plombs logés un peu partout.
- "Un sacrifice" -
Selon lui, la police avait donné 20 secondes aux manifestants pour se disperser avant de les arroser de balles et des dizaines de personnes s'étaient "immédiatement effondrées" après les tirs.
Cette semaine, le gouvernement par intérim dirigé par le prix Nobel Muhammad Yunus a annoncé la mise en place d'une fondation pour "s'occuper des blessés et des familles des morts et des blessés" qui ont participé aux manifestations.
Abdul Alim espère en faire partie.
"Nous ne pourrons jamais oublier les contributions des étudiants et des personnes qui ont sacrifié leur vie et qui ont été grièvement blessés lors des manifestations contre la dictature", a déclaré M. Yunus dans un communiqué.
Il a promis que son gouvernement fera, dès que possible, "le nécessaire pour prendre soin des blessés et des familles des défunts". Mais pour l'instant, les blessés ne peuvent compter que sur leur famille.
Dans une autre salle du NIOH, Nazrul Islam caresse les cheveux de son jeune frère Rahmatullah Sardar Shabbir, pour le réconforter. Les médecins ont réussi à extraire deux des trois balles qui ont transpercé l'œil gauche du jeune homme de 26 ans le 4 août, mais n'ont pas réussi à lui faire recouvrer la vue.
"Je ne vois rien avec mon œil gauche", explique Shabbir, étudiant en droit, qui comme presque tous les autres patients du NIOH malvoyants, dit ne pas avoir de regrets.
"C'est un sacrifice" pour mon pays, dit-il, un drapeau bangladais au-dessus de son lit. "Nous avons créé un nouveau Bangladesh".
E.M.Filippelli--PV