Procès des viols de Mazan: Dominique Pelicot, "fantasmes obsédants" et absence d'empathie
Un homme dévoré par des "fantasmes obsédants", proches de la nécrophilie, avec "une totale absence d'empathie": plusieurs experts ont dressé lundi la personnalité de Dominique Pelicot, cet homme à "double facette" jugé à Avignon pour avoir orchestré les viols sur son épouse, pendant dix ans.
La personnalité et les attirances sexuelles de ce septuagénaire ont été disséqués par deux psychologues et deux psychiatres lundi, à la barre de la cour criminelle de Vaucluse, où il comparaît depuis le 2 septembre pour avoir drogué, violé puis fait violer sa désormais ex-épouse par 50 coaccusés, entre 2011 et 2020.
"Chef d'orchestre" de ces viols, comme l'a qualifié l'expert psychiatre Paul Bensussan, le principal accusé, 71 ans, n'était cependant pas là pour écouter les experts. Arrivé très affaibli dans son box, Dominique Pelicot a été dispensé par la cour en raison de douleurs intestinales.
Mais il devrait toujours s'exprimer mardi après-midi, si le planning est respecté.
Que ce soit dans ses traits de personnalité ou ses attirances sexuelles, Dominique Pelicot présente toujours un double visage, selon les experts, à l'image d'un "Dr Jekyll" et Mr Hyde, référence évoquée vendredi par un premier psychologue.
D'un côté il est qualifié de "mari, père et grand-père honorable, ami estimé. Un père incontestablement aimant et présent", décrit le Dr Bensussan. Mais dans le même temps un homme "très manipulateur", qui "ment énormément".
"C'est une personnalité à double facette: un rang de patriarche, sur lequel ses proches peuvent se reposer, (...) mais de l’autre assez irresponsable sur sa gestion matérielle, utilisant le mensonge et le secret", avait expliqué dans la matinée la psychologue Marianne Douteau, parlant de quelqu'un de "colérique" et "inspirant la crainte". Des traits semblables à ceux de son père, qu'il honnissait.
- "Fantasmes de nécrophilie -
Ses parents tenaient un hôtel-restaurant et lui, après un parcours scolaire jugé "médiocre" par l'experte, avait travaillé notamment comme ouvrier dans une entreprise électrique avant de se lancer dans l'immobilier, avec un succès mitigé.
Il en est de même sur le plan sexuel où il souffre "de fantasmes obsédants": d'un côté il juge comme peu épanouissants ses rapports intimes avec Gisèle Pelicot, "dans la norme" ; de l'autre il est amateur de "voyeurisme", d'exhibitionnisme", "de candaulisme" (NDLR: le fait d'être excité en voyant son partenaire avoir des rapports sexuels avec d'autres), a expliqué M. Bensussan.
"La sexualité de monsieur Pelicot apparaît comme calquée sur sa personnalité: elle est décrite comme ordinaire en public, mais au sein de son couple il a une sexualité tenace, comme l’échangisme que refusait son épouse et qu'il compense par l’utilisation de sites de discussions pornographiques", selon Marianne Douteau.
"Le voyeurisme fait partie de sa dynamique psychosexuelle", a confirmé la psychologue Annabelle Montagne, décrivant "l'égocentrisme" de l'accusé et sa "propension à considérer l'autre comme un objet qu’on peut manipuler".
C'est en assommant sa femme d’anxiolytiques, la rendant donc "totalement inerte, sans réaction", que l'accusé a pu la faire violer par des dizaines d'hommes, principalement à leur domicile de Mazan, cette commune du Vaucluse où ils avaient déménagé début 2013.
"Le fait que la personne soit totalement passive cela pourrait renvoyer à des fantasmes de nécrophilie", poursuit Mme Montagne: le viol que l'accusé affirme avoir subi, à 9 ans, par un infirmier lors d'une hospitalisation, pourrait avoir formé "un clivage dans sa psyché", selon l'experte.
- "Banalité du mal" -
Car jusqu'à la découverte des faits, à l'automne 2020, ses petits-enfants l'adoraient: il les aidait dans leurs devoirs et les emmenait aux activités sportives. Avec ses voisins, Dominique Pelicot effectuaient régulièrement des sorties à vélo autour du mont Ventoux, proche de leur domicile.
"Son passage à la retraite et le déménagement du couple ont pu fragiliser les barrières défensives dans le psychisme", a poursuivi Annabelle Montagne.
Mais personne ne se doutait que la nuit la plupart du temps, parfois dans la journée, il se transformait en violeur et en recruteur pour faire agresser sexuellement son épouse: 200 faits recensés par les enquêteurs, dont la moitié commis par lui.
Pourtant, Dominique Pelicot ne souffre "strictement d'aucune pathologie mentale", a prévenu le docteur Bensussan.
"Les faits extraordinaires sont souvent réalisés par des personnes ordinaires", a résumé un autre psychiatre, Laurent Layet, rappelant que "la plupart des actes fous ne sont pas commis par des fous".
Faisant référence au concept de "banalité du mal", théorisé par la philosophe Hannah Arendt, il a expliqué "le décalage parfois difficile à se représenter entre un individu assez banal et ses actes qui ne le sont pas".
A.Rispoli--PV